Cornemuses en Bretagne
La cornemuse, biniou en breton, est redevenue de nos jours un instrument très présent en Bretagne, mais cela n’a pas toujours été le cas. Au cours des décennies, les ethnomusicologues du MNATP ont pu observer la relance de cet instruments et nous livrer des documents sonores qui témoignent de la transformation du paysage musical en Bretagne...
La cornemuse, biniou en breton, est redevenue de nos jours un instrument très présent en Bretagne, mais cela n’a pas toujours été le cas. Au cours des décennies, les ethnomusicologues du MNATP ont pu observer la relance de cet instruments et nous livrer des documents sonores qui témoignent de la transformation du paysage musical en Bretagne...
Après la première guerre mondiale, la mécanisation et l’exode rural qui ont débuté plusieurs décennies en amont ont quasiment fini de déstabiliser les structures traditionnelles du monde paysan, entraînant la raréfaction des occasions de jeu habituelles : en plus des noces où leur présence était indispensable pour mener le cortège (répertoire de marches), puis le festivités (répertoire de danses), les instrumentistes, appelés sonneurs en Bretagne, étaient engagés pour animer fêtes et foires qui ponctuaient l’année et pour animer certains événements collectifs comme la fin de travaux agricoles. Les danseurs, autrement dit, tout un chacun faisant corps dans ces moments partagés, se trouvaient alors parmi le couple de sonneurs, le biniouaer et le talabarder, son indispensable comparse à la bombarde (hautbois), juchés sur un tonneau ou sur une table comme on les voit sur certains tableaux du 19ème s. puis sur les cartes postales du début du 20ème. Ces «clichés» forcent le trait d’une situation qui ne correspond déjà plus à la réalité d’une pratique vivante. Destinés tout d’abord aux premiers touristes, ces cartes postales mettent en scène les groupes folkloriques locaux, qui vont se multiplient à partir de 1920, appelés cercle celtique en Bretagne, créés dans le contexte des mouvements régionalistes dans une tentative de conserver un lien avec le passé qui a alors vraiment disparu.
Dans tout le nord de la Bretagne, les sonneurs ont été concurrencés très tôt par les joueurs ayant fait le choix d’instruments «modernes», comme l’accordéon et la clarinette. L’abandon, notable également dans cette zone de la péninsule, des danses de pays (gavotte, dañs tro...) au profit des danses de salon (valse, polka...) a aussi eu raison des joueurs de biniou-bombarde. Le couple de musiciens s’est maintenu uniquement dans le sud-Finistère (Cornouaille) et dans le Morbihan (Vannetais).
Avant leur relance après la deuxième guerre mondiale, une relance plus que réussie quand on voit aujourd’hui la vivacité et la créativité de la scène musicale bretonne, binious et bombardes ont donc failli disparaître, et les enquêteurs de la première mission lancés sur le terrain bas-breton en 1939 ont eu quelques difficultés à rencontrer des sonneurs [voir Basse-Bretagne 1939 : à la rencontre des sonneurs « de tradition »]. Arrivés à Plozévet le 6 août, alors que le biniou est encore joué, et fabriqué, ils passeront à côté d’un des deux derniers fabricants, Jean Douirin.
La relance s’amorce au début des années 1930 alors que certains Bretons vivant à Paris ne se résignent pas à voir disparaitre leur tradition musicale. Conscient du fait que le biniou est un instrument passé de mode, ils ont l’idée de le remplacer par la grande cornemuse écossaise qui ne leur paraît pas totalement étrangère à leur culture puisque les Ecossais parlent le gaëlique, une langue celte qui s’apparente au breton. Le couple de sonneur est ainsi modernisé, mais surtout, pour donner de nouvelles occasions de jeu, qu’il faut également renouveler, l’emprunt aux Britanniques ira même au-delà : non contents de leur emprunter le bag-pipe, les Bretons s’approprieront aussi la formation dans laquelle cet instrument s’inscrit, le pipe-band. Le bagad, ensemble breton de cornemuses, bombardes, tambour est né, même s’il ne porte pas encore ce nom [voir De la clique au bagad, Quimper 1949].
Pour conserver l’appellation biniou à ce nouvel instrument venu d’Outre-Manche on joue sur les adjectifs. Le biniou traditionnel, ancien et petit devient le biniou kozh (litt. vieux) ou bihan ; l’autre est le biniou nevez (nouveau) ou bras (grand, qui se prononce « braz »).
Claudie Marcel-Dubois découvrira ce biniou nevez en 1939 [voir Plomodiern 1939 : une noce « bien bretonne »] puis dix ans après, alors que celui-ci a réussi son implantation, sans faire disparaître le vieil instrument qui au contraire profite lui aussi de l’engouement des Bretons pour leur musique, lors du premier « concours des meilleurs sonneurs de Bretagne » [voir Le concours du meilleur sonneur de Bretagne, Quimper 1949], qu’elle vient enregistrer à Quimper en juillet 1949. Elle observera ces couples de sonneurs mod-kozh (à l’ancienne) et contemporains et verra concourir les premiers ensembles de type bagad à l’occasion de ces fêtes de Cornouailles où seront invités les « cousins » Ecossais et leur pipe-bands. Ils seront enregistrés par le MNATP cinq ans plus tard à Brest, à l’occasion du Festival de cornemuses de Brest en 1954.