Basse-Bretagne 1939 : à la rencontre des sonneurs « de tradition »
C’est dans le contexte de raréfaction du biniou kozh, et d’émergence du biniou bras, qui les intéresse moins parce que "moderne", que les membres de la Mission de folklore musical en Basse-Bretagne se mettent en quête d’un couple de sonneurs de "vieux" (kozh en breton) biniou.
C’est dans le contexte de raréfaction du biniou kozh, et d’émergence du biniou bras, qui ne les intéresse moins parce que "moderne", que les membres de la Mission de folklore musical en Basse-Bretagne se mettent en quête d’un couple de sonneurs de "vieux" (kozh en breton) biniou.
Le 29 juillet 1939, comme le raconte Jeannine Auboyer dans le journal de route de la mission (extraits donnés en italique dans le texte),
Claudie Marcel-Dubois et l'abbé Falc'hun partent à la rencontre de Noël Le Mouillour et Joachim Danvic, «deux sonneurs de biniou et bombarde qui nous avaient été signalés et que nous désirions filmer et enregistrer ». Le Mouillour « n’était pas chez lui, mais sa mère nous a reçus ; elle nous a raconté que son père était sonneur professionnel et que ce métier avait à ce moment mauvaise réputation ; sa mère aurait cru se damner si elle avait épousé un tel homme aussi lui fit-elle promettre qu’il ne jouerait plus ; il lui promis ; avant leur mariage, il sonnait à une noce le jour de la déclaration de guerre de 1870 ; en l’apprenant, il jeta (une de ses) bombardes (...et) donna l’autre à un de ses amis. Or sa fille, Mme Le Mouillour actuelle a retrouvé ces deux instruments, l’un qui avait été (récupéré par) un vieux berger qui n’en savait la provenance et l’avait réparé, l’autre chez un voisin et son fils Noël les conserve pieusement étant sonneur lui-même. Pour trouver Noël Le Mouillour nous avons dû aller à une manufacture de papier au-delà de Bubry où il est actuellement ouvrier ; il viendra demain avec son compagnon Danvic, joueur de bombarde, habitant de Saint Barthélemy».
Les deux comparses seront filmés le lendemain matin et photographiés (photo ci-dessus) dans le costume « folklorique » qu’ils revêtent pour les spectacles de leur cercle celtique, celui de Baud pour Le Mouillour, de Saint-Barthélémy pour Danvic. Quatre airs seront enregistrés auprès d’eux le 30 juillet (gavotte de Bubry MUS1943.005.072, ridée de Saint-Barthélémy MUS1943.005.073, jabadao MUS1943.005.074, marche MUS1943.005.075 et un air pour appeler la noce au repas MUS1943.005.076). Le père de Joachim Danvic était sonneur. Il aurait gagné le troisième prix au concours de Guenin de 1932 (Ouest-Éclair Morbihan, le 7 octobre 1932).
Ce 30 juillet a lieu dans l’après-midi, à Brandérion, la procession de Sainte-Anne. La foule doit se rendre dans la propriété de monsieur de Goulen, où un feu de joie doit être allumé (photos 1940-2-169 à 175). « Les sonneurs qui étaient venus pour nous ont été invités à (...) précéder (la procession) et ils se sont avancés vers le bûcher qui a flambé assez rapidement (...) sous l’action du vent (film). [...] Pendant ce temps la fête communale commencée dès le matin se poursuivait. A la sortie des vêpres, c’est-à-dire après que la procession fut revenue à la chapelle, le comité des fêtes demanda à nos sonneurs de jouer pour accompagner les concours de danse [cf. ci-dessous, le programme collé sur la page 28 du cahier] ».
Les enquêteurs ne disent pas qui devait animer le concours de danses si Le Mouillour et Danvic ne s’étaient trouvés là. Toujours est-il qu’ils ont sonné et ont été filmés ce qui nous donne un document qui, bien que muet, n'en est pas moins intéressant.
Le 14 août, dans la région du Faouët, c’est à l’enregistrement d’un autre couple que la Mission procède. Là encore, en raison du caractère exceptionnel, la caméra, silencieuse, sera actionnée. Les sonneurs sont, au biniou, Nicolas Gerbet (1879-1945) qui joue aussi de la bombarde (ph.1940.2.317) et Jean-Marie Le Breton (1888-1954).
Jeannine Auboyer indique dans le journal de route que : « Le sonneur de bombarde est aveugle (J.-M. Breton). Il est depuis l’âge de 16 mois. Il a commencé par fabriquer (ou rempailler ?) des chaises mais des Italiens (...) lui ont fait une telle concurrence qu’il a dû abandonner ce métier ; il se mit alors à fabriquer des pincettes à braise pour allumer les pipes (...). Mais l’usage (...) des briquets s’est vulgarisé et il dû de nouveau cesser cette industrie ; il se mit alors à composer des chansons bretonnes qu’il vendait sur feuilles volantes mais bientôt la vogue fut aux chansons françaises. Il devint alors sonneur de bombarde pour toutes les occasions pour lesquelles on utilisait cet instrument ; il avait appris à en sonner avec Nicolas Gerbet le joueur de biniou vers l’âge de 17 ans. C’est son métier actuel ; malheureusement l’accordéon supplante de plus en plus le biniou et la bombarde et il est sans doute sur le point de change d’activité. (...) Il ne sait parler que le breton n’ayant jamais été à l’école et ses parents sachant à peine le français ».
Gerbet et Breton permettront aussi aux enquêteurs de filmer, le 14 août au Faouët, une séance de gymnaska dont Jeanne Tandé montre le pas qu’elle seule connaît , air qui sera enregistré (MUS1943.005.130.1-2). Ils permettront aussi de faire danser sous la caméra deux couples de danseurs, en jouant plusieurs airs:
gavotte (MUS1943.005.130.3-5),
Bal à quatre (mod kozh) MUS1943.005.130.6-7,
Pitistoup MUS1943.005.141.1,
Jibidi MUS1943.005.141.2,
Kenviad MUS1943.005.141.3-7.
Les sonneurs seront également filmés seuls. On voit Nicolas Gerbet glisser, pour son compère, l'anche à l'extrémité de la bombarde. Que se mettent-ils à jouer? Le cahier de terrain n'en dit rien. On trouve en revanche, p. 40, un dessin du décor du biniou de Le Breton qui est par ailleurs photographié.