Pays Basque II
Présentation
Présentée par Marcel-Dubois comme une revisite, vingt-six ans après le premier terrain, pour évaluer la diffusion, au Pays Basque nord, des instruments idiomatiques du Pays Basque sud (clarinette double alboka, hautbois dultzaina), l’enquête menée du 23 juillet au 3 août 1973 offre plutôt un panorama actualisé de figures obligées: cantiques en basque chantés par des chœurs; joute improvisée des bertsulari Mattin Treku (1916-1981), déjà enregistré à St Jean-Pied-de-Port en 1947 et à Paris en 1958, et Manuel Sein dit Xanpun (1928-2002); musiques de danse jouées au txistu et ttunttun (flûte et tambour à peau) notamment par Pierre "Betti" Bidart et Iñaki Urtizberea, alors fraîchement nommé directeur des chœurs Oldarra, qui interprète plusieurs airs employant le rythme de zortziko (à 5/8).
Objectifs
Même si beaucoup d'enregistrements concernent le chant (choeur d’hommes, séquences chantées d'une messe en basque, chant improvisé ou bertsu), il semble que l’objectif prioritaire de l'enquête ait été de dresser ou plutôt d'actualiser l'inventaire des instruments de musique traditionnels pratiqués au Pays Basque nord. Abordant la mission dans son rapport d'activité scientifique annuel au CNRS, Marcel-Dubois la présente comme une "Etude comparative des instruments de musique du Pays Basque espagnol et du Pays Basque français en fonction des changements survenus dans la musique instrumentale depuis les années 50 ". Les carnets d’enquête comportent d'ailleurs de nombreuses notations sur ce sujet, agrémentées de dessins ou du report des adresses des fabricants. Elles concernent notamment les instruments suivants: hautbois populaire dultzaina, clarinette double alboka, flûtes à trois trous txistu et xirula, flûte basse à 3 trous zilbote, tambourin à cordes ou cithare frappée ttunttun ou soinu, tambourin pandereta ou tanburia, tambours danboril et atabal, barre en fer tobera, planches percutées txalaparta , etc.
Circonstances, chronologie, itinéraire
La chronologie et l'itinéraire de l'enquête s'avèrent malaisés à établir dans la mesure où les sources écrites (carnets de terrain et registre d'inventaire du musée) ne documentent que l'itinéraire suivi du 29 au 31 juillet 1973, alors que la mission est supposée avoir commencé six jours plus tôt et s'être achevée trois jours plus tard. Même en tenant compte des délais de route pour venir de Paris puis pour y rentrer, il subsiste des lacunes dans l'emploi du temps des chercheuses, d'autant plus que l'un des carnets d'enquête mentionne qu'elles étaient déjà en Touraine, à Beaulieu-lès-Loches, leur lieu habituel de villégiature, au moment du 14 juillet et qu'elles en ont du reste profité pour avoir un entretien avec le chef de l'Harmonie libre de Loches-Beaulieu après avoir assisté au concert que la fanfare a donné à l'occasion de la fête nationale.
Le silence des sources est d'autant plus regrettable que Marcel-Dubois a assuré plus tard que "la mission (s'était) déroulée sur les versants espagnol et français du Pays Basque", sans pour autant préciser dans quelles localités situées au sud d'Hendaye elle avait enquêté. La présence dans ses notes d'adresses de facteurs ou de vendeurs d'instruments basques localisés à Bilbao, Saint-Sébastien ou encore Zarautz ne suffit pas pour avancer que les enquêtrices se sont rendues dans ces villes de la province de Guipuscoa, même si cela peut apparaître comme probable.
Pour s'en tenir à ce qui est établi par la documentation disponible, on énumérera ci-après, jour après jour, les localités où Marcel-Dubois et Pichonnet-Andral ont fait successivement étape et sur quoi (ou sur qui) ont porté leurs prises de sons.
Samedi 28 juillet, Bayonne
Danse: spectacle de danses et "romeria" par le groupe Gaztetxo de Gazteiz/Vitoria, enregistré au fronton, puis musique d’ambiance (MUS1973.035.001 à MUS1973.035.014, et 015).
Chant: deux airs interprétés par six membres masculins de la chorale Pottoroak de Bayonne (MUS1973.035.016 et 017).
Dimanche 29 juillet, Louhossoa puis St-Etienne de Baïgorry et Macaye
Captation d'une messe en basque à l'église paroissiale de Louhossoa dont ce cantique chanté pendant la communion (MUS1973.035.018 à MUS1973.035.021).
Enregistrement d'airs de danse interprétés au txistu et ttunttun par Pierre "Betti" Bidart à St Etienne de Baïgorry, sur la place de la Mairie (MUS1973.035.022 à MUS1973.035.024)
Reportages sonores sur un repas chanté, présenté par les enquêtrices comme un "banquet", qui se tient au restaurant Manexenea de St Etienne de Baïgorry (MUS1973.035.025 à MUS1973.035.028, chants et ambiance (MUS1973.035.026) puis sur un second "banquet" donné à Macaye (quartier Mohostia, route d’Hélette), qu'agrémentent les improvisations chantées ("bertsu") des chanteurs-improvisateurs Baptiste Etcheverry, Xanpun et Mattin, ce dernier déjà connu des enquêtrices qui l'avaient enregistré en 1958 à Paris, à l'occasion de la finale d'un concours de pertsulari (MUS1973.035.029 à MUS1973.035.078). On signalera en particulier l'enregistrement MUS1973.035.031 où Mattin évoque son passage au MNATP, alors situé au palais de Chaillot, ce qui déclenche les rires de l'assemblée, et rend hommage aux deux chercheuses venues le retrouver sur ses terres.
Lundi 30 juillet, Biarritz
Entretien avec Iñaki Urtizberea (MUS1973.035.080 à MUS1973.035.096), alors âgé de 43 ans, joueur de txistu et ttun-ttun (MUS1973.035.081).
Mardi 31 juillet, Bayonne
Entretien avec le Souletin Jean-Pierre Aren, portant sur l'alboka (MUS1973.035.097 à MUS1973.035.126).
Les informateurs rencontrés
De retour au Pays Basque pour une troisième enquête de terrain et demie, est-on tenté d'écrire selon qu'on inclue ou pas la mission de juillet 1953 à Biarritz ou le reportage de 1958 à la Maison des Basques de Paris, Claudie Marcel-Dubois et Maguy Andral croisent d'abord, à Bayonne, la route d'une troupe de danseurs venus du Pays Basque Sud, précisément de Vitoria-Gasteiz, le groupe Gaztetxo, et elles y entendent aussi un ensemble vocal du crû, le choeur d'hommes Pottoroak, fondé en 1965 sous la forme d’un octuor (en basque "Otxote") par André Béhotéguy et qui continue, en 2022, de se produire. A noter que l'enregistrement qui a été effectué semble ne mobiliser que six chanteurs.
Parmi les personnes rencontrées plus avant durant cette mission figurent:
- Pierre "Betti" Bidart, né en 1954: charpentier comme son père, amateur depuis toujours de la sonorité du txistu (la flûte basque à 3 trous), il s'est d'abord initié à cet instrument dans son village de St Etienne de Baïgorry, auprès de plusieurs formateurs puis, parti à Anglet pour y faire ses études, il a poursuivi son apprentissage au conservatoire de Bayonne auprès d'Iñaki Urtizberea, avant de regagner St Etienne de Baïgorry, où il a mené de front son activité artisanale et son engagement culturel.
- Manuel Sein Usandizaga, dit « Xanpun », agriculteur et chanteur-improvisateur, né en 1928 à Saint-Pée-Sur-Nivelle, mort en 2002 à Saint Jean-de-Luz. Sa première participation publique en tant que bertsulari date de 1945 à Urrugne, village où il a vécu dès l’âge de 4 ans.
- Mattin Treku, dit « Mattin » (1916-1981), né et mort à Ahetze, est considéré comme un des plus grands bertsulari du XXe siècle. Plusieurs ouvrages lui sont consacrés et on trouvera sur ce site une brève notice biographique.
- Iñaki Urtizberea, né en 1939 à Montauban (Tarn-et-Garonne), chef de choeur et chef d'orchestre, est un grand interprète de la musique traditionnelle basque. Virtuose du txistu (flûte basque à trois trous) qu'il a notamment enseigné au conservatoire de Bayonne à partir de 1961, il est devenu en 1972, quelques mois avant l'enquête du MNATP-CEF, le directeur musical des choeurs d'hommes Oldarra de Biarritz, dont il avait intégré dès 1951 la formation chorégraphique. Il a dirigé d'autres ensembles, vocaux ou instrumentaux, spécialisés dans l'interprétation de la musique basque et basés sur les deux versants des Pyrénées.
Après le terrain
Revenant dans son rapport annuel d'activité scientifique au CNRS sur cette nouvelle et ultime enquête en Pays Basque, Claudie Marcel-Dubois énumère les points que Pichonnet-Andral et elle-même ont principalement étudiés: y figurent comme constante de leurs ethnographies la dimension musicale des fêtes profanes ou religieuses et les particularités de l'instrumentarium local (ici en particulier l’alboka, clarinette double à réserve d’air buccale, et le txalaparta, une paire de poutrelles frappées); s'y ajoutent comme spécificités du terrain basque le répertoire des improvisateurs et le zortzico, rythme bichrone irrégulier qu'on retrouve en Europe orientale, dans quelques régions isolées. La principale conclusion que lui dicte son observation consiste dans l'effacement de la frontière pyrénéenne pour des musiciens qui la franchissent allègrement dans les deux sens, obtenant la même reconnaissance du public et des connaisseurs tant au Nord qu'au Sud. Corrolairement, elle relève "une unification de plus en plus importante (...) au niveau du répertoire et des instruments de musique entre les deux versants du Pays Basque". Le fait d'avoir pu retrouver des informateurs enregistrés une première fois quinze ou vingt ans plus tôt lui a également permis de mesurer le rythme et l'ampleur des évolutions qui ont affecté les "répertoires" ainsi que les "modalités et styles d'exécution".
Enregistrements effectués
Choisis parmi la grosse centaine d'enregistrements ramenés du terrain et dont l'entrepôt de données Didόmena permet de prendre intégralement connaissance, les dix sélectionnés ci-après, dans l'ordre du déroulement de l'enquête, méritent d'être écoutés prioritairement, en complément de ceux déjà mentionnés:
- interprétés le 28 juillet 1973 par le choeur d'hommes Pottoroak de Bayonne : Agur Jaunak (MUS1973.035.016) et Ilunabarra (MUS1973.035.017),
- chantés le 29 par des voix d'homme lors d'un repas festif au restaurant Manexenea (Saint-Etienne de Baïgorry): Ikusten duzu goizean (MUS1973.035.026) et Gernikako arbola (MUS1973.035.028), puis, le même jour, dans un autre "banquet" au quartier Mohostia de Macaye, Goizean argi hastean (MUS1973.035.053), Ttiki ttikitik (MUS1973.035.054), Jeiki jeiki (MUS1973.035.058) ainsi que la Chanson de Napoléon: "1852 an paperrian ezarri ditut zenbeit bertsu berri" (MUS1973.035.059 et MUS1973.035.060)
- le même jour et au même endroit, Baptiste Etcheverry, alors âgé de 82 ans, chante successivement Xorinoa kaiolan (MUS1973.035.055), Hauxe da bada gostuma (MUS1973.035.056) et 24 urte ezkondu nintzela (MUS1973.035.057).
La réunion de Macaye a aussi fourni l'occasion à deux fameux bertsulari, Xanpun et Mattin, d'improviser de nombreux bertsu en français, ce qui était très inhabituel voire incongru. On peut supposer, pour l'expliquer, que c'était une façon d'honorer les deux chercheuses parisiennes et, en chantant dans la langue qui leur était commune, de les remercier de leur fidélité, puisque Mattin avait déjà eu l'occasion d'enregistrer pour elles en mai 1958, quand il avait été reçu au palais de Chaillot, au lendemain de la finale parisienne d'un concours de chant improvisé.
Les archives de l'enquête
Les archives textuelles
Elles sont réparties dans trois jeux de données, provenant tous les trois d'une même cote d'archives-papier conservées aux Archives nationales (FRAN_0011_2013043_105).
Le premier rassemble quelques feuillets de notes préparatoires, écrits par Claudie Marcel-Dubois (FRAN_0011_17690_L.jpg à FRAN_0011_17702_L.jpg)
Viennent ensuite deux carnets d'enquête.
Le premier (FRAN_0011_17703_L.jpg à FRAN_0011_17732_L.jpg), lui aussi de la main de Marcel-Dubois, témoigne de l'enquête organologique menée durant la mission. Passant en revue tous les instruments basques observés durant le terrain, il précise pour chacun la terminologie en usage (en basque avec traduction française) et donne parfois des indications sur les fabricants en activité.
Le second (FRAN_0011_17733_L.jpg à FRAN_0011_17755_L.jpg) a été pour l'essentiel tenu par Pichonnet-Andral, même si, sur certaines pages, on reconnaît l'écriture de Marcel-Dubois. Il s'agit d'un classique carnet d'enregistrements qui précise pour chaque archive sonore son numéro d'inventaire, son titre et le(s) nom(s) des interprètes, ainsi que, plus rarement, le lieu (ou les circonstances) d'enregistrement.
On regrettera évidemment l'absence de toute correspondance, qui aurait pu éclairer la préparation du terrain et dont on ignore pourquoi le dossier de l'enquête conservé au département d'ethnomusicologie en a été expurgé. La même remarque et les mêmes regrets peuvent être formulés concernant les photographies.
Les archives sonores
Elles se composent des 126 fichiers qui forment la collection MUS1973.035.
Remerciements: Pantxix Bidart, Pierre "Betti" Bidart, Jakes Larre (Institut Culturel Basque-EKE), Danièle et Christian Noguez, François Gasnault.