Pierre Soulier
Il fut le photographe professionnel qui accompagna le plus souvent Claudie Marcel-Dubois et Maguy Pichonnet Andral sur leurs terrains d'enquête.
Né à Paris, fin 1913, Pierre Soulier a étudié dans un établissement d’enseignement technique prestigieux de la ville de Paris, puisqu’il s’agit de l’école Duperré, officiellement dénommée « école municipale des arts appliqués à l’industrie ». Soulier a pu y croiser durant sa formation Suzanne Pinault qui y enseignait le dessin appliqué à la broderie et qui devint en 1936-1937 très proche de Georges Henri Rivière, dans le contexte de la préparation de l’Exposition internationale des arts et techniques.
Élève de l’atelier Ameublement, il en sort diplômé en 1933, pourvu d’une excellente formation de dessinateur. L'initiation à la photographie a été plus tardive et probablement le fait d'un autre Pierre, en l'occurrence Pierre Séguy, lui-même issu de l'École Estienne, et dont il a fait la connaissance en 1941, quand ils ont l'un et l'autre rallié l'un des chantiers de chômeurs intellectuels confiés à la direction de Rivière et inclus dans le périmètre du musée des arts et traditions populaires.
Au fil des huit années qui vont de la sortie de Soulier de l'École Duperré à son arrivée au "chantier 909" (mobilier traditionnel - il rejoint ensuite le "chantier 1810" - entreprises artisanales), les informations manquent presque entièrement sur les emplois qu'il a pu tenir. À l'inverse, son parcours à partir de 1941 est aisément traçable, puisqu'il est documenté par sa production graphique et photographique, qui a été inscrite au fur et à mesure à l'inventaire du musée.
Son recrutement au CNRS intervient en février 1946. Il est sans incidence sur son affectation, qui demeure le MNATP, et ne change pas non plus ses attributions. Intégré au laboratoire d’ethnographie française (prédécesseur du Centre d’ethnologie française, créé en 1967, et dont Marcel Maget, adjoint scientifique de Rivière, a assuré la direction jusqu’à son départ à l’université de Dijon en 1962), Pierre Soulier est successivement qualifié de « collaborateur technique » ou d’« aide technique », d’« enquêteur adjoint qualifié » (1951) puis d’« enquêteur ». Durant la phase « chantiers de travailleurs intellectuels », Soulier avait participé à plusieurs enquêtes qualifiées de « technologiques », sur la céramique, le mobilier ou l’artisanat régional, mais aussi « sur le métier de marionnettiste », qui va devenir son thème de spécialisation. Dans la continuité de ces premières missions, il épaule Louis Dumont sur le terrain pour l'’étude des fêtes de la Tarasque à Tarascon (1946). Il démontre en toute occasion des qualités relationnelles appréciées, qu'elles se déploient avec les informateurs ou avec ses co-équipiers. Maget relève que Soulier « sait s’attirer la confiance et la sympathie des personnes auprès desquelles se fait l’enquête » et il loue son « habileté à rechercher [celles] susceptibles de fournir les meilleures informations ». De même, sa compétence de dessinateur, sollicitée d'emblée, le demeure après son entrée au CNRS – pour « l’exécution des travaux pratiques (relevés, cotes, graphiques, diagrammes, cartographie) » mais aussi celle des planches de notation musicale, et, déjà, il lui est demandé d’assurer des prises de vues. En pratique, il est longtemps le seul dessinateur-photographe du musée-laboratoire ; à partir de 1950, il devient en sus, et sur la recommandation de Rivière, enseignant à l’École du Louvre où lui est confiée « l’instruction [des élèves] au dessin technique »..
Mise à part l’enquête dans les Hautes-Pyrénées (avril 1956) dont la couverture photographique a été assurée par Marcel Boulin, conservateur du musée Massey à Tarbes, et les deux terrains de 1961 et 1963 dans l’est canadien francophone, où l’ethnologue canadienne Carmen Roy et Claudie Marcel-Dubois elle-même se sont chargées des prises de vues, c’est donc Pierre Soulier qui, de janvier 1954 à l’été 1964, est le photographe attitré des enquêtes d’ethnographie musicale que mènent Claudie Marcel-Dubois et Maguy Pichonnet-Andral dans la France rurale. Il les accompagne ainsi en Bourgogne, Provence, Berry, Auvergne, Bourbonnais, Rouergue, Roussillon, vallée d’Ossau et enfin en Aubrac.
Cette collaboration cesse assez brusquement, non par incompatibilité d’humeur mais parce que Soulier doit à partir de 1966 donner la priorité à la préparation du transfert du musée au « nouveau siège », en lisière du Jardin d’acclimatation. Il lui faut en effet définir l’équipement de son futur atelier-laboratoire, recruter - et former - des assistants (un dessinateur, un photographe et un aide-photographe), superviser, en tant que chef d’équipe, la mise en service du nouvel équipement et aussi maîtriser, par un catalogage normalisé et une rigoureuse indexation qui en garantiront l'exploitabilité, la croissance exponentielle des ressources iconographiques créées par l'établissement et singulièrement par lui. Sa place n’est donc plus sur le terrain, ce dont, plus âgé, moins alerte, il semble s’être accommodé. À partir de 1971, il est de fait très sollicité par les entreprises éditoriales du MNATP, qu'il s'agisse d'illustrer les articles publiés dans la revue Ethnologie française (en théorie organe de la société savante éponyme) ou les volumes du Corpus d’architecture rurale. Soulier exerce cette responsabilité jusqu’à sa mise à la retraite pour limite d’âge en décembre 1978. Pour celles et ceux qui l'ont côtoyé durant tant d'années au palais de Chaillot puis au "nouveau siège", il reste longtemps après ce départ "l'homme des marionnettes".
Ayant investi dès la période des Chantiers ce domaine où l'artisanat d'art rejoint le spectacle vivant, il ne l'a de fait jamais déserté puisqu’en 1983, il est encore, avec Marie-Claude Groshens, le co-éditeur scientifique de textes de l’acteur Léopold Delannoy (1817-1888) sur « Les théâtres de marionnettes du nord de la France » (Maisonneuve-et-Larose), Pierre Soulier a mené son observation auprès des théâtres de marionnettes implantés à Paris, Amiens, Lille et Lyon, encourageant leurs directeurs à donner leurs plus belles pièces au MNATP, mais aussi au musée Gadagne, pour lequel il a par ailleurs étudié et dressé l’inventaire de la collection Léopold Dor. Il n'est donc pas étonnant que Rivière lui ait demandé d’assurer à ses côtés le commissariat de l’exposition « Théâtres populaires de marionnettes » présentée en 1952 au palais de Chaillot et dont il a cosigné le catalogue.
Des notes qu’il a accumulées sur son thème de recherche de prédilection, Soulier tire en 1972, aux éditions des Musées nationaux, la plaquette Marionnettes, leur manipulation, leur théâtre, qui reprend sa contribution au guide-catalogue de la galerie d’étude du musée, l’une des salles du parcours permanent où il a bien entendu été chargé de la conception, de l’agencement et de la réalisation matérielle des vitrines dédiées aux marionnettes.
Marié depuis 1946 et père d’une fille unique, Marie-Martine (née en 1948), Soulier décède en 1998, à Clamart où il résidait depuis 1970.
Nota : les citations sont extraites du dossier de carrière de Pierre Soulier, actuellement conservé sous la cote 050051 DR01-SPRH art. 32, au centre d’archives intermédiaires du CNRS, implanté à Gif/Yvette.