Flûtes et hautbois d'écorce

Au début du printemps, alors que la sève recommence à circuler dans les troncs et les branches, l'écorce devenue facilement détachable est utilisée pour fabriquer le corps d'instruments à vent que l'on regroupe généralement sous la catégorie "flûte et hautbois d'écorce".

Gustave Laurenceau essayant le sifflet qu'il est en train de  fabriquer (Ph.1967.88.87, cliché Marcel-Dubois)
Gustave Laurenceau essayant le sifflet qu'il est en train de fabriquer (Ph.1967.88.87, cliché Marcel-Dubois)

Présents dans les collections du musée, devenus secs et muets, ces instruments relevant de ce qu'on appelle "la musique verte", étaient courants à la campagne jusqu'au milieu du siècle précédent (voir l'article sur le mirliton - à venir. Considérés comme des jouets, ils avaient aussi une fonction pédagogique à laquelle s'ajoutait une fonction symbolique, pour ce qui concerne, en tous cas les trois trois instruments à vent fabriqué avec de l'écorce auxquels est consacré cet article. 

découpe de l'écorce sur l'arbre
Prélèvement de l'écorce pour fabriquer le tuyau d'un "hautbois" par A. Vignaux.


Trois, car si le premier est sans doute aucun à rapprocher organologiquement de la flûte, l'appellation hautbois est entrée dans l'usage alors qu'il s'agit plus exactement de clarinette dès lors que l'embouchure est munie d'une anche simple qui caractérise le type, l'anche double caractérisant le type hautbois. Cela dit, étant dépourvus de trous de jeu (sauf exception rarissime), ils servaient à produire des sons plus que des notes. A ce titre ils relèvent, musicalement parlant du sifflet, pour le premier et du cornet ou de la trompe pour les seconds.

Ces instruments étaient fabriqués traditionnellement par les garçons à partir de sept ans. A cet âge ils avaient droit d'avoir un canif et apprenaient à les fabriquer auprès d'un adulte, souvent un parent (grand-père, père, oncle, grand-frère).

jeu du sifflet d'écorce
A Courban en Bourgogne, Gustave Laurenceau essaye le sifflet qu'il vient de fabriquer (Ph.1967.88.91, Cl. Marcel-Dubois)


C'était là une façon pour le jeune de se familiariser avec l'usage du couteau à une époque où tout homme à la campagne en avait un dans la poche, mais aussi, à ce qui se dit, un manière d'apprendre au garçon les tous premiers rudiments du jeu musical sachant que les instruments à vent sont traditionnellement réservés au hommes. Quelques exceptions se rencontrent bien sûr comme le raconte une informatrice qui dit que les filles fabriquaient aussi, des sifflets en tous cas (voir plus bas, le témoignage de Noémie Aygalenc). Un témoignage singulier qui ne remet pas en cause la règle générale qui repose sur la symbolique (voir plus bas).

Le tuyau de la flûte se fabriquait de la sorte: on appliquait deux entailles tout autour de la branche choisie au diamètre voulu, pratiquées à une certaine distance l'une de l'autre en fonction de la longueur de tuyau souhaitée. On frappait ensuite cette partie avec le manche du couteau pour soulever l'écorce avant d'exercer un mouvement de rotation permettant de la détacher de l'aubier.

Le frappement préalable semble très important, comme en témoignent certains informateurs (voir les références en bas de page), et il était accompagné par une petite formulette parlée dont il est question au paragraphe qui suit.  Une fois l'écorce détachée, il suffisait ensuite de la retirer de l'aubier en la faisant glisser le long de la branche, mais comme on le voit sur l'illustration, cela n'est pas forcément nécessaire.

sifflet d'écorce 1965.65.24 coll. Mucem
Sifflet d'écorce,  de l'embouchure (côté gauche) le souffle est envoyé vers le biseau que forme l'arrondi de l'encoche (inv. 1965.65.247, Mucem).


La nécessité résidait surtout sur la mise au point du dispositif d'embouchure réalisé en découpant une encoche pour obtenir le biseau (voir l'illustration ci-contre) et en venant refermer partiellement l'extrémité du tuyau en glissant un petit tube de bois à pan coupé de façon à laisser le passage pour le souffle vers le biseau, selon le même principe que la flûte à bec.

La formulette dont nous venons de parler est propre à la fabrication de ces sifflets. Les folkloristes du 19ème siècle qui se sont intéressés aux coutumes paysannes en parlent dans leurs écrits. D'après les études anthropologiques, il s'agirait d'un lointain souvenir des incantations magico-religieuses propres aux sociétés agro-pastorales, lié en l'occurrence aux rites de printemps (voir Instruments et pratiques insolites). Ces rites auraient eu pour fonction de favoriser le renouveau de la nature, et de là, la fertilité de la terre, des bêtes, mais aussi celle des hommes garante de la perpétuation de la vie. La fabrication du sifflet aurait donc partie, anciennement, de de ces rites propitiatoires, autrement dits bénéfiques, liés à l'élément masculin.

On peut écouter ces différentes formulettes collectées sur le terrain:
- celle de Marius Planeix (MUS1959.015.360) enregistré le 14 octobre 1959 à Murol (Puy-de-Dôme),
- celle de  Noémie Aygalenc (MUS1964.036.638), du 9 octobre 1964 sur le plateau de l'Aubrac,
- celle de Maxime Renard (MUS1967.028.076), du 2 juin 1967, enregistrée à Chaugey (Côte d'Or),
- celle de Pierre Soustrade (MUS1963.036.065) le 25 septembre 1963 dans la vallée d'Ossau en Pyrénées.

Cette dernière fait bien rire Maguy Andral... Ce côté ludique lié à l'enfance est la seule caractéristique relevée par les informateurs. Cela montre que le caractère magique de ces paroles est perdu depuis très longtemps. On note d'ailleurs que cette formulette est prononcée au moment où l'écorce doit se détacher. Pouvons-nous dire que c'est le moment où il y a prélèvement sur l'arbre, être vivant, qui "donne" son écorce protectrice? La sève, à laquelle il semble bien que les premiers mots fassent référence, est le liquide nourricier de l'arbre qui provient des racines lesquelles plongent dans la profondeur de la terre. C'est d'elle et de là que revient la vie dans l'arbre...

Déjà dans les années 50-60, de nombreux informateurs avaient oublié les paroles de la formulette. Un informateur de Côte d'Or dit même qu'il n'y a pas de formulette.... (Roger Bruillon, juin 1967, MUS1967.28.105). En 1973 à Saint-Nicolas (Suisse, Val d'Aoste) les deux ethnomusicologues n'ont pas manqué de s'informer sur ces instruments d'écorce. Si Joséphine Cerlogne leur a bien confirmé leur usage, elle ne se rappelait pas de la "chansonnette" qu'elle a pourtant entendue étant enfant (MUS1973.037.038), preuve que les instruments eux-mêmes ne se faisaient déjà plus depuis longtemps. Les témoignages recueillis, pour la fabrication du sifflet comme des "hautbois" est d'ailleurs le fait de personnes déjà âgées, alors que d'autres "jouets rituels" ont été observés sur le terrain par les deux ethnomusicologues en situation (cf. les crécelles, dans l'article instruments et pratiques insolites).

Pour ce qui concerne les "hautbois" que les informateurs appellent souvent trompes ou trompettes d'écorce comme le dit Maxime Renard de Chaugey (Côte d'Or, 2 juin 1967, MUS1967.028.084), leur tuyau était plus facile à confectionner puisqu'il était fait à partir d'une bande d'écorce enroulée en spirale et maintenue en forme par des épines.

Maxime Renard montrant un hautbois d'écorce
Maxime Renard montre le tuyau du "hautbois" terminé.


Une fois terminé, l'anche, simple ou double, était placée à l'extrémité et mise en bouche pour être sonnée (MUS1956.003.144).

jeu du hautbois d'écorce
Auguste Vignaux embouche l'anche de type clarinette de l'instrument qu'il vient de terminer.



En 1956, Marcel-Dubois et Andral, accompagnée par le photographe du musée Marcel Boulin, réalisent, en Haute-Garonne auprès d'Auguste Vignaux, un reportage sur la fabrication. Le processus est consigné, de la première étape (prélèvement de l'écorce, voir ill. plus haut) à la fabrication de l'anche (ill. ci-dessus). C'est ce "hautbois" que l'on entend sonner dans l'enregistrement ci-dessus (MUS1956.003.144). Appelé bramevac, A. Vignaux a expliqué que l'instrument servait aussi pour le charivari.

Dans le cadre de la "Recherche Coopérative sur Programme - Châtillonnais" diligentée par le CNRS en 1967, les deux enquêtrices du musée, accompagnées par Jean Raïsky, ont rapporté de très nombreux documents sonores et photographiques qui complètent les données sur ces instruments en écorce. 

C'est sur ce terrain, en Côte-d'Or que Jean Raïsky a observé le rarissime hautbois percé de trous de jeu. Il s'agit de l'instrument fabriqué par Gabriel Gelot que l'on voit ci-dessous, collecté pour le musée (lien notice Mucem).

Hautbois d'écorce percé de trous de jeu
A Poisseul-la-Ville-et-Laperrière (Côte-d'Or) le 1 juin 1967, Gabriel Gelot essaye le hautbois d'écorce percé de 3 trous de jeu qu'il vient de fabriquer (ph. 1967.89.20, Jean Raïsky)

 

C'et aussi en Châtillonnais que l'un des informateurs (Maxime Renard, vu plus haut), parle de l'usage pastoral de l'instruments (MUS1967.028.085). 

Flûtes et "hautbois" d'écorce dans les archives

Flûtes et sifflets

GUSTAVE LAURENCEAU, Courban, Côte-d'Or, Bourgogne, le 2 juin 1967 (RCP Châtillonnais)
Ecouter les enregistrements (MUS1967.028.097 à MUS1967.028.101)
Voir les photographies (Ph1967.088.084 à Ph1967.088.091)
Voir le sifflet rapporté pour les collections du musée (inv. 1967.48.26).

ROGER BRUILLON, Autricourt, Côte-d'Or, Bourgogne, le 3 juin 1967 (RCP Châtillonnais)
Ecouter les enregistrements (MUS1967.028.104 à MUS1967.28.113)
Voir les photographies (Ph1967.088.093 à Ph1967.088.107)
Voir le sifflet rapporté pour les collections du musée (inv. 1967.48.28).

RAYMOND LEVêQUE, Orret, Côte-d'Or, Bourgogne, RCP Châtillonnais, le 1 juin 1967, reportage de Jean Raïsky
Ecouter les enregistrements (MUS1967.028.139 à MUS1967.028.143)

"Hautbois

AUGUSTE VIGNAUX, Ardièges, Haute-Garonne, le 3 avril 1956 (Mission Pyrénées centrale)
Ecouter les enregistrements (MUS1956.003.139 à MUS1956.003.147)
Voir les photographies (Ph1956.070.195 à Ph1956.070.242, clichés de Marcel Boulin).

RENé MAROT, Chanay, Côte-d'Or, Bourgogne, RCP Châtillonnais, le 2 juin 1967
Ecouter les enregistrements (MUS1967.028.049 à MUS1967.028.072)

MAXIME RENARD, Chaugey, Côte-d'Or, Bourgogne, RCP Châtillonnais, le 2 juin 1967 
MUS1967.017.075 (1er février 1967, enregistré par Jean Raïsky)
Ecouter les autres enregistrements (MUS1967.028.073 à MUS1967.028.086 - le n°85 est relatif à l'usage pastoral du hautbois)
Voir les photographies (Ph1967.088.047 à Ph1967.088.071 - sauf la 066)

GABRIEL GELOT, Poisseul-la-Ville-la-Perrière, Côte-d'Or, Bourgogne, RCP Châtillonnais, les 1er et 2 juin 1967 , reportage de Jean Raïsky, 
Ecouter les enregistrements (MUS1967.028.114 à MUS1967.028.123, 125 et 128)
Gabriel Gelot est avec Gabriel Couvreux sur les enregistrements 114 et 115
Voir les photographies (Ph.1967.089.001 à Ph.1967.089.020)
Voir le "hautbois" rapporté pour les collections du musée (inv. 1967.48.18)

GABRIEL COUVREUX, Poisseul-la-Ville-la-Perrière, Côte-d'Or, Bourgogne, RCP Châtillonnais, le 1 juin 1967, reportage de Jean Raïsky
Ecouter les enregistrements (MUS1967.028.124 et MUS1967.028.126, 127, 128)
Voir les photographies (Ph.1967.089.021 et 022)

RAYMOND LEVêQUE, Orret, Côte-d'Or, Bourgogne, RCP Châtillonnais, le 1 juin 1967, reportage de Jean Raïsky
Ecouter les enregistrements (MUS1967.028.133 à 137 ; MUS1967.028.144 et145)
Voir les photographies (Ph.1967.089.023 à Ph.1967.089.038)

Rédaction: Marie-Barbara Le Gonidec