Des danses de salon tout terrains
La locution «Danses de salon» désigne usuellement les danses à figures et les danses en couple fermé adoptées et pratiquées tout au long du 19e siècle par les classes moyennes et supérieures de la société française....
La locution "danses de salon" désigne usuellement les danses à figures et les danses en couple fermé adoptées et pratiquées tout au long du 19e siècle par les classes moyennes et supérieures de la société française.
Le quadrille français et le quadrille des Lanciers ressortissent de la première catégorie, la valse, la polka, la mazurka et la scottish de la seconde. Toutes ces danses distinguaient alors les habitants des villes de ceux des campagnes, et donc de la grande majorité des Français. Les villageois continuaient en effet de se divertir en dansant selon les régions et parfois sous des appellations localisées le branle ou d’autres danses en rond ainsi que la bourrée ou la contredanse.
Sous la 3e République, après le quadrille qui s’y était déjà acclimaté, les danses de couple se diffusent en milieu rural, les jeunes gens qui effectuaient leur service militaire dans les villes de garnison ayant sans doute été les principaux vecteurs de la transmission. En 1939, quand Marcel-Dubois commence à enquêter sur le terrain, le transfert est achevé. Il a pour corollaire la désaffection à l'égard des danses dites traditionnelles, sensible à peu près partout, y compris en Basse-Bretagne (voir l'article Une noce bien bretonne).
Les nouvelles danses ont charrié avec elles de nouvelles musiques, parfois chantées, le plus souvent jouées aux instruments, qu’ils soient attestés de longue date à la campagne comme le violon (ex. cette mazurka, MUS1959.015.144), la vielle à roue (ex. La Paimpolaise, MUS1965.039.268) et la cornemuse (ex. valse exécutée à la cabrette, MUS1959.015.052), ou d’introduction récente comme l’accordéon (ex. scottish double, MUS1965.039.023). Le support privilégié de la diffusion a été le "petit format", une partition imprimée et illustrée de quatre pages, tirée à plusieurs milliers d’exemplaires et vendue très bon marché. On retrouve fréquemment des copies des airs ainsi popularisés dans les cahiers manuscrits tenus par ceux qui animaient les bals. Et ils sont devenus le fond de répertoire de beaucoup de musiciens dits «routiniers» qui, ne lisant pas la musique, apprenaient d’oreille et jouaient par cœur.
Pourtant, dès l’entre-deux-guerres, les danses de salon, à leur tour, ont connu la relégation, y compris au village, au bénéfice des danses musette, même si la valse-musette restait une valse et la java une adaptation musette de la mazurka. Dans les années 1950 et a fortiori au fil des deux décennies suivantes, le scénario s’est reproduit au profit des danses venues des Amériques (tango, rumba, one-step, jerk, rock), perçues comme plus sensuelles et plus toniques.
Ce décalage entre les musiques d’hier et les pas du moment n’a rien d’original : alors que l’allemande, la courante et la pavane étaient depuis longtemps passées de mode au bal, les compositeurs du 18e siècle ont continué d’écrire des suites reprenant les noms et les rythmes de ces danses, à la grande satisfaction et sans doute aussi à la requête des musiciens de leur temps (comme des mélomanes d’aujourd’hui). Toutes choses égales par ailleurs, c’est ainsi qu’on peut expliquer que tant de valses et de polkas figurent dans les enregistrements effectués par Marcel-Dubois et Pichonnet-Andral, où que l'enquête se soit déroulée ou peu s'en faut.
On ne peut certes pas exclure que le questionnement de "ces dames de Paris" ait incité leurs informateurs à se remémorer des airs qu'eux-mêmes, peut-être, considéraient comme démodés et qu’ils ne jouaient plus que rarement.
Des photographies prises dans des bals auxquels les enquêtrices ont assisté,
en Provence (Ph.1954.17.224),
sur le plateau de l’Aubrac (Ph.1965.55.132) ou encore en Bourgogne (Ph.1967.101.102) témoignent néanmoins que la pratique des danseurs, y compris de ceux qui avaient vingt ans dans les années 1960, incluait encore à l’occasion ces danses du siècle précédent. Et les enregistrements restituent bien l’ambiance, tout sauf compassée, des bals-musette un soir de Carnaval (ex. MUS1967.017.095) ou la nuit du 14 juillet (ex. MUS1967.047.039).