Poullaouen-Langueux
Présentation
Loeiz Ropars, qui, parmi de multiples activités, dirigeait le cercle celtique de Poullaouen (Finistère), avait contacté Georges Henri Rivière, le conservateur en chef du MNATP, pour lui demander de soutenir le concours qu’il organisait le 30 octobre 1955 à l'occasion de la journée du chant et du conte populaires bretons.
Rivière n'a pas seulement répondu favorablement à cette sollicitation. Il s'est aussi rendu à Poullaouen en compagnie de Claudie Marcel-Dubois et Maguy Pichonnet-Andral, qui ont bien entendu procédé à des enregistrements. Elles ont aussi mis à profit ce déplacement en Bretagne pour enregistrer Bernard Gauçon (1891-1958), un joueur de vielle à roue du Penthièvre habitant Langueux, à proximité de Saint-Brieuc (Côtes d'Armor).
La journée du chant de Poullaouen
Loeiz Ropars (1921-2017), directeur du cercle celtique de Poullaouen, la commune où il est né, contacte, par un courrier daté du 15 septembre 1955, Georges Henri Rivière, le conservateur en chef du MNATP. Il lui demande de soutenir la deuxième édition du concours qu’il organise le 30 octobre 1955 dans cette commune située à une trentaine de kilomètres au sud-est de Morlaix, non loin de Carhaix (Finistère).
En organisant cet événement pour la deuxième année consécutive, Ropars entend remettre à l'honneur le chant en breton, sous toutes ses formes, airs lents comme on peut l'entendre ici (Alc' hwez an eurusted, La clef du bonheur, par Marie Gall, MUS1955.015.064), mais surtout sa forme "à danser", le kan ha diskan. On entend ici Yvonig Lavanant et François Bris qui chantent la partie lente, ou tam kreizh, "morceau du milieu" dans une suite qui se compose de 3 airs (MUS1955.015.040, Boked ar Yaouankiz, Le bouquet de la jeunesse).
Grâce à cette initiative, le kan ha diskan, parce qu'il permet de rassembler autour de la danse, rencontre un regain d'intérêt et participe à la réinvention du "bal breton", dit fest-noz , dont Ropars est aujourd’hui considéré comme le "renovateur".
La participation de Rivière, "patron" d'un grand musée parisien dédié aux arts et traditions populaires, a d'une part consisté à contribuer au financement du prix, et d'autre part à honorer la manifestation de sa présence, apportant à Ropars la marque de reconnaissance escomptée pour souligner l’importance musicale mais aussi "sociétale" du kan ha diskan.
L'expression du kan ha diskan, essentiellement collective et liée au mode de vie rural, est en train de disparaître avec la raréfaction des occasions de chanter et la diminution du nombre de locuteurs de la langue bretonne car, si les plus âgés des habitants du Centre Bretagne, essentiellement rural, parlent encore couramment et spontanément le breton, c'est moins le cas des plus jeunes, même s'ils comprennent encore très bien une langue qui n'est plus transmise. C'est d'ailleurs pourquoi la journée organisée par Ropars donne aussi une place importante aux conteurs. L'affiche reproduite ci-dessus mentionne les kontadennoù brezonnek (contes bretons), afin d'attirer les gens de Poullaouen et des alentours.
On entend ici Mme Coavec raconter l'histoire Disul 'm eus, "Dimanche j'ai..." (MUS1955.015.065) que les Parisiennes du MNATP n'auront pas pu saisir... Rivière est en effet venu avec les deux ethnomusicologues du musée-laboratoire, Claudie Marcel-Dubois et Maguy Pichonnet-Andral afin qu'elles enregistrent les candidats au concours chant. On entend ici les lauréates dans la catégorie des "anciens", Ar re gozh, à savoir Catherine Guern et Marie Boudehen, dont la photographie est parue dans le journal (voir ci-après). Elles interprètent ici le tam kreizh (morceau du milieu) d'une suite gavotte (Pa oan tiskenn da Vontroulez, "Quand je suis descendu à Morlaix", MUS1955.015.084).
Bernard Gauçon, vielleux du Penthièvre
La rencontre avec ce vielleux que l'on l'entend ici interpréter le chant "Sur la rivière de Bordeaux" (joué puis chanté, MUS1955.016.050 et 051) s'est faite par l'entremise de René-Yves Creston, que Marcel-Dubois connaît depuis 1939 au moins car il l'a aidée à organiser certaines rencontres sur le terrain bas-breton.
Creston a des attaches à Etables-sur-Mer, dans la baie de Saint-Brieuc. Dès le mois de mai il annonce à l'ethnomusicologue qu'il a approché le cercle celtique de Penthièvre pour trouver de bons vielleux, réagissant à la sollicitation qu'elle lui a adressée (voir ci-dessous).
La vielle à roue est un instrument relativement bien implanté en Haute-Bretagne et probablement cherchait-elle à y rencontrer un joueur pouvant en témoigner, pour enrichir la documentation sur sa pratique ailleurs que dans le Berry et le Bourbonnais où elle a enquêté avec Maguy Andral en 1950, à l'occasion d'un concours à Saint-Amand Montrond.
Le 20 octobre 1955, Marcel-Dubois écrit à Creston qu'elle gagnera Poullaouen avec sa voiture, afin d'assister au concours de kan ha diskan, et que l'itinéraire retenu, tant pour l'aller que pour le retour, la fera passer par le Penthièvre. Elle lui propose donc de faire une halte avec Maguy Pichonnet-Andral.
Creston répond que cette période de l'année est mal choisie: les gens sont occupés à faire le cidre, et lui-même, la Toussaint approchant, ne sera pas à Etables-sur-Mer.
Il lui indique (lettre du 26 octobre) qu'il va essayer d'arranger les choses auprès d'un vielleux qu'il a lui même enregistré en 1952, Bernard Gauçon. Il a d'ailleurs remis une copie des bandes magnétiques au musée (MUS1953.002).
Est-ce Creston qui a procuré aux chercheuses cette coupure de presse de 1952 (ci-contre, FRAN_0062_1357_L.jpg)? On reconnaît en tous cas son écriture sous la photo du vielleux. Etonnamment, ce document ne provient pas du dossier d'archives de cette enquête Poullaouen-Langueux mais de celui que Marcel-Dubois et Andral ont constitué pour l'enquête "Léon, Trégor, Pays de Saint-Brieuc et de saint-Malo". Or, elles n'ont pas enregistré de vielleux, leurs investigations portant alors essentiellement sur le répertoire maritime.
René-Yves Creston pense que celui qu'il considère comme le "plus typique des vielleux du secteur" devrait être chez lui, parce qu'il est âgé et qu'il ne s'occupe plus guère du pressage des pommes à cidre. Gauçon serait alors, compte tenu des faibles disponibilités que réserve l'agenda des chercheuses, la personne la plus à même de "vous donner (sic) quelque chose. Je vous avertis qu'il vous chinera un cachet car il est "professionnel" [...] Rien qu'avec lui, vous avez de quoi faire". Creston indique aussi qu'un jeune du cercle celtique de (Saint-Brieuc ou du Penthièvre?) pourrait les accompagner chez Gauçon.
Marcel-Dubois répond le 28 octobre qu'elle tentera sa chance au retour de Poullaouen et espère bien bénéficier d'un "bon introducteur" pour accéder à Bernard Gauçon.
Avec Maguy Pichonnet-Andral, elle a donc bien trouvé chez ce musicien surnommé "Jean du Tessier" et qu'elle rencontre le 31 octobre, un "vrai vielleux de la Belle Epoque", selon l'expression du journaliste d'Ouest France, qui sait faire renaître "l'ambiance des fêtes de leur village d'autrefois". Il se révèle en tout cas membre du cercle celtique du Penthièvre et complète ainsi les enregistrements que la phonothèque du MNATP détenait déjà grâce au dépôt opéré par Creston en 1953.
Données de l'enquête
Elles se composent de deux sous-collections: 92 enregistrements de Poullaouen (MUS.1955.015), de chant à danser, chant lent, contes... et jeu instrumental, et 51 (MUS.1955.016) réalisés auprès de Bernard Gauçon, chanteur et joueur de vielle à roue.
Les originaux des documents d’archives textuelles forment aux Archives nationales la cote 20130043/63. Leur version numérique, référencée FRAN_0062_20130043_063, rassemble 11 jeux de données. Figure parmi eux une planche de 6 photographies ainsi que l'affiche et la coupure de presse utilisées pour l'iconographie du présent article, et le dossier de correspondances dont il a été cité quelques extraits.
Consulter le fonds d'archives "Poullaouen" sur Didόmena
Consulter le fonds d'archives "Langueux" sur Didόmena